• Merci oh merci

     

     

    « Merci oh merci

     

    Toi, le grand dépendeur d'andouilles

    La terreur du mont Valérien

    Ô Don Juan, chef de patrouille

    À qui mes yeux ne disaient rien

    Et toi, le chéri des cheftaines

    Qui portais si bien le bâton

    Et brandissais un cœur de laine

    Accroché à ton mousqueton

     

    Merci, oh, merci

    De n'avoir jamais rien compris

    À mes quinze ans timides

    Merci, oh, merci

    De n' m'avoir jamais rien appris

    De m'avoir laissé les mains vides

    Libre, libre, libre

    De venir jusqu'ici

     

    Vous, les faux dragueurs de banlieue

    Qui en faisiez pas tant que ça

    Camouflant une frousse bleue

    Qu'on vous trébuche dans les bras

    Me faisant danser, mal à l'aise,

    Chacun son tour, bien poliment

    Et m'abandonnant sur ma chaise

    Dans les chaussures de Maman

     

    Merci, oh, merci

    De n'avoir jamais rien compris

    À mes vingt ans timides

    Merci, oh, merci

    De n' m'avoir jamais rien appris

    De m'avoir laissé les mains vides

    Libre, libre, libre

    De venir jusqu'ici

     

    Vous, les amies de tous les âges

    Toujours plus belles, mieux coiffées

    Grâce à qui même mon visage

    Me semblait ennemi fieffé

    Et vous qui, plus tard, si gentilles

    Parliez doucement chirurgie

    Pour ce nez, mon bien de famille

    Qui n' m'a jamais fait de vacherie

     

    Merci, oh, merci

    De n'avoir jamais rien compris

    À mes vingt ans en cage

    Merci, oh, merci

    De n' m'avoir jamais rien appris

    De m'avoir donné cette rage

    Libre, libre, libre

    De venir jusqu'ici

     

    La vie est une étrange fête

    Et je vous remercie vraiment

    Car c'est bien vous qui m'avez faite

    Vous ne pouviez faire autrement

    Il fallait bien que je sois laide

    Et bête pour avoir envie

    Sans jamais demander votre aide

    De me faire une belle vie

     

    Merci, mais merci

    Aux rares qui avaient compris

    Qu'il valait mieux attendre

    Merci, oui, merci

    De ne m'avoir jamais rien dit

    Et d'avoir bien voulu comprendre

    Que je devais, libre,

    Arriver jusqu'ici

    Libre, libre, libre

    Arriver jusqu'ici »

     


    Anne Sylvestre, 1967

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